Assise en tailleur sur le récif, là où l'eau ne pouvait qu'effleurer la peau, tu admirais ce même soleil qui, tous les soirs, ne faisait que se noyer dans cette harmonie de couleurs qui t'émerveillait toujours autant: tu trouvais ces nuances de rouge, d'orange et de rose tout bonnement magnifiques. Ce panorama te faisait voyager et te rappelait ces moments autrefois magiques où il te tenait encore la main pour t’entraîner dans l'eau, où tu riais abondamment à force de le voir grimacer ou gober la tasse, où l'embrasser était encore possible.
Tu fermes les yeux pendant quelques secondes avant de respirer à nouveau, calmement; tu secoues alors brusquement la tête, comme pour faire sortir ces images de ton esprit, et tu te lèves. L'arrière de ta robe blanche et tes cheveux d'or sont pleins de sable; tu soupires; tout en fixant l'horizon, tu recules de quelques pas, lentement. Personne ne voit, personne n'entend, personne ne s'inquiète du saut que tu viens d'exécuter en te recroquevillant sur toi-même, la tête rentrée, les yeux fermés. La mer, calme et bienveillante, ne se plaint pas et te laisse entrer: la plaie que tu viens de lui créer se referme aussitôt dans un bruit sourd, effacée par les vagues, provoquant un nuage de mousse à sa surface.
Tes paupières s'ouvrent alors. Grâce aux quelques rayons perdus du jour, tu aperçois quelques bancs de poissons effrayés, une poignée de coraux et du sable à perte de vue; plus loin, tu rencontres cette même zone d'ombre qui, comme toi, aime se balader dans les profondeurs de l'océan à ses heures perdues. Mais ce soir, tu resterais près des rochers, à quelques mètres de la surface: tu n'étais pas d'humeur à trop forcer sur tes jambes. Ta petite tête blonde remonte alors à la surface et, tel un crocodile, seuls tes pupilles bleu ciel parcourent sagement les alentours: ce coin-ci, c'était ton petit paradis. Peu de gens s'y aventuraient, de peur de tomber nez à nez avec les verts géants qui te fascinaient à chaque fois qu'ils venaient s'amuser; ils te faisaient penser aux autruches, à toujours rentrer et sortir leur tête dans le sable; toi, tu les trouvais tout sauf méchants, juste un peu trop bruyants. En effet, les trois longues heures où ils étaient de sortie ne se déroulaient que dans la confusion la plus totale: la première fois que tu étais tombée sur eux, tu avais failli y perdre et ton ouïe et tes maigres jambes.
Après plusieurs va-et-vient dans l'eau, à chercher des coquillages qu'on ne pouvait trouver sur la plage elle-même afin d'en faire des colliers, tu pris appui sur un rocher recouvert de mousse et te hissas hors de l'eau avant de poser tes fesses pour de bon: tu essoras rapidement ta chevelure, ta robe te collant à la peau, et te mis à compter ce que tu venais de récolter, un peu comme une enfant. Tu étais bien là, à contempler tes petites trouvailles: si l'une d'elles ne te plaisait pas, tu la balançais au loin et la laissait couler.
Mais sans en attendre plus, tu replonges aussitôt dans l'eau, la tête la première, sans réfléchir, complètement affolée (réflexe de sirènes: vive les influences qu'elles ont sur toi), faisant l'erreur de laisser tes trésors ainsi exposés sur le récif: tu venais d'entendre des bruits de pas, ou plutôt de sabots. Et tu savais très bien que les monstres qui te servaient de voisins n'étaient pas du genre à en porter.